Offensive « aérienne » contre Bruxelles
Le Soir - FORUM - CARTE BLANCHE - Samedi 8 et dimanche 9 octobre 2005.
Gauthier van Outryve Rédacteur en chef de la revue électronique
« Mille Décibels »
Le plan Start lancé par Yves Leterme prépare le développement
dune véritable ville daffaires à côté
de laéroport de Bruxelles-National où des centaines
de milliers de mètres carrés de bureaux seront construits.
Pour contribuer à les remplir, lobjectif est de doubler à
terme le trafic aérien. Cest pourquoi le plan Start est présenté
au nord du pays comme lié au plan de dispersion des nuisances sonores.
En Région bruxelloise, Start deviendra synonyme de déperdition
économique. Parmi les entreprises déjà implantées
à Bruxelles et celles qui pourraient sy installer, combien
résisteront à la tentation de se localiser à Zaventem
? Quel dirigeant flamand choisira de ne pas simplanter dans la nouvelle
« Porte internationale de la Flandre » ? Par combien de firmes
étrangères seront-ils imités ?
Les 821 millions deuros qui seront investis dans Start vont exacerber
les tensions concurrentielles actuelles. Des entreprises de plus en plus
nombreuses délaisseront les bureaux déjà vides de
lest de Bruxelles et sinstalleront à quelques encablures
pour profiter à la fois de la proximité de la capitale de
lEurope et de laéroport, de limage de dynamisme
de la Flandre, et du réservoir de main-duvre qualifiée
et polyglotte que contient le Brabant flamand.
Pour faire valoir ses atouts, la Région bruxelloise devra lutter
pied à pied. Bien sûr, des mesurettes destinées à
stimuler lemploi de chômeurs bruxellois trilingues à
Zaventem lui seront offertes en aumône. A cela, les représentants
du gouvernement bruxellois ont sagement répondu ne pas vouloir
réduire lhabitabilité de communes entières
pour si peu.
Le plan Start représente une grave menace environnementale pour
Bruxelles.
Grosso modo, la vocation du plan de dispersion était de diviser
par deux les nuisances dans le noordrand afin que la pression sur ses
habitants ne puisse jamais dépasser le niveau initial. Un rapide
calcul permet de comprendre que la charge des nuisances sur Bruxelles,
loostrand et le nord du Brabant wallon, au moins doublée
depuis le plan Anciaux, devrait à terme être quadruplée
à cause de Start (et davantage pour les victimes de la piste 02).
Le plan de dispersion nest rien dautre quun plan de
captation, un transfert dhabitabilité depuis une zone bruxelloise
et francophone vers une zone authentiquement flamande.
Affirmer quil puisse être « équitable »
de répartir des nuisances entre des quartiers inégalement
survolés dans le passé, tout en dépassant allégrement
les seuils de tolérance, est un mensonge absurde. Au contraire,
labaissement de la charge sonore en Brabant flamand accélérera
le processus de déperdition que Start causera à léconomie
bruxelloise en facilitant lhabitat à proximité de
laéroport.
Jamais aucun autre moyen daffaiblir Bruxelles naura été
aussi efficace. Le plan Start et le plan de dispersion des nuisances sonores
forment ensemble un avantage démesuré.
Peut-on oublier que Bruxelles- National a été financé
par tous les Belges, donc par les Bruxellois et les Wallons aussi ? Pendant
des décennies et à coups dinnombrables milliards de
francs, souvent via la Sabena, laéroport sest développé
à la suite dinvestissements pharaoniques et au fil des plans
de sauvetage.
Récemment, le ministre régional flamand Kris Peeters a admis
que plus de 90 % des emplois qui dépendent de laéroport
sont flamands. Johan Vande Lanotte a garanti le caractère flamand
de lessentiel des futurs emplois avec son projet Diabolo, financé
par les fonds fédéraux de la SNCB, qui tiendra lieu de RER
entre laéroport de Zaventem et les agglomérations
voisines en Flandre.
Alors que la contribution dactifs « nationaux » au
plan Start est considérable, le plan Marshall dElio Di Rupo
devra, quant à lui, se faire avec les seuls moyens financiers de
la Région wallonne.
Pour le moins, il appartient à la Région flamande dassumer
les conséquences de ses projets de développement maximalistes
sans chercher à reporter sur ses partenaires les responsabilités
qui lui incombent pleinement vis-à-vis de sa population.
Sans se soucier de vraisemblance, certaines personnalités politiques
de tous bords en Flandre traitent les Bruxellois dégoïstes
parce quils refusent de partager les nuisances sonores en inflation
à cause des plans Anciaux et Start. Ce genre dimprécation
naurait pas le moindre impact si la menace de réactions nationalistes
extrêmes en Flandre ne leur servait pas de caution. En brandissant
le Vlaams Belang comme un épouvantail, comme une arme, les partis
flamands donnent une crédibilité très artificielle
à des arguments non étayés.
Accepter de les entendre, cest alimenter un processus malsain par
une aptitude excessive à la soumission. En réalité,
sil y a « solidarité » invoquée, cest
quil y a transfert avoué ; en loccurrence, le sacrifice
des intérêts vitaux de la Région bruxelloise en contribution
nette au plan Start et en compensation de largent flamand versé
à la Wallonie. En clair, cest « laissez-nous piller
Bruxelles ou financez votre sécurité sociale vous-même
». Voilà une épreuve qui nous éclairera sur
la réalité de la destinée commune entre Bruxellois
et Wallons.
Et sur leur capacité à résister de concert aux formes
les plus grossières du chantage.
Las, au fédéral les partenaires francophones abandonnent
dos à dos les Régions et laissent le ministre Landuyt être
linstrument docile de Bert Anciaux.
Chacun comprend que Didier Reynders et Laurette Onkelinx défendent
le principe de dispersion rendu exsangue par les assauts juridiques pour
ne pas tomber avec le gouvernement qui ne va guère mieux.
La Région bruxelloise na plus quà user de son
droit de légitime défense. Aucune grande ville européenne
na à subir autant de nuisances aériennes pour des
motifs uniquement politiques. Si des avions en surnombre devaient continuer
à prouver leur trop insigne faiblesse aux Bruxellois, jour et nuit,
année après année, jamais Bruxelles ne pourrait se
convaincre de sa capacité dautodétermination et encore
moins en persuader ses voisins.
Le combat pour la défense de ses normes de bruit est devenu emblématique
de la lutte pour la reconnaissance de son autonomie. La crise des nuisances
aériennes est une épreuve de vérité. De ce
conflit, Bruxelles sortira renforcé ou sans grand espoir pour son
avenir.
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