L’incurie politicienne mine la sécurité aérienne

lalibre.be
vrijdag 14 oktober 2016

La catastrophe évitée de justesse à Zaventem, le mercredi 5 octobre à 20h40, suscite des remous de toutes parts : elle fait renaître la vieille querelle de l’utilisation des pistes de l’aéroport et, par là, des zones survolées. En effet, pour beaucoup d’observateurs, l’Airbus A320-200 d’Aer Lingus n’aurait jamais dû se trouver en approche finale de la piste 01 orientée à 10° au nord. Ce soir-là, le vent dominant venait de l’est, à 60°, avec une force de 22 nœuds. Dépassant la norme des 20 nœuds tolérée pour un vent de travers. Dans ce cas, le pilote doit poser son avion en crabe, une manœuvre pas optimale qui peut s’avérer risquée. Un principe de base, en aéronautique, étant que l’on décolle et se pose face au vent, pour une portance et une sécurité maximales.

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Principe bafoué selon l’Union belge contre les nuisances aériennes (UBCNA), qui se bat d’habitude contre le bruit généré par l’aéroport et touchant les riverains. Pas question de cela ici. L’administratrice-déléguée de cette ASBL monte au créneau pour dénoncer l’utilisation politicienne des normes de vent : "Belgocontrol est le seul organisme au monde qui ne suit pas les normes aéronautiques, dit-elle, et ce faisant on diminue les marges de sécurité là où tout le monde tente de les augmenter. A-t-on le droit de diminuer la sécurité pour des raisons politiques et communautaires ?"

Par un heureux hasard, un rapport du Service de médiation pour l’aéroport de Bruxelles-National a été adressé, hier, au ministre de la Mobilité François Bellot (MR). Ce document circonstancié fait état de nombreuses plaintes contre l’utilisation abusive de la piste 01, orientée plein nord, dont le tracé passe au-dessus des communes de Waterloo, Wezembeek et Woluwe-Saint-Pierre, la ligne francophone des trois "W". Utilisation au mépris des normes de vent, en les arrangeant. Par exemple en élargissant la limite des 7 nœuds de vent arrière à 6,5 nœuds pour changer de piste et passer à la 01 ou y rester. D’aucuns disent à partir de 5 nœuds…

A l’est, les communes flamandes

Car, sinon, c’est la 25/7 qui est utilisée, celle-là qui passe au-dessus des communes flamandes de Vilvorde, Meise, Grimbergen, Wemmel. En suivant la norme face au vent d’est, l’Embraer d’Air Dolomiti aurait dû décoller de la 7R, droite, et l’Airbus d’Aer Lingus atterrir sur la 7L, gauche, "et on ne prenait aucun risque d’abordage", dit une source très proche du dossier.

Qui accuse elle aussi : "Aujourd’hui (jeudi), on est dans le même cas, avec le même vent que le jour de l’incident et on est sur la 07 ! Jusqu’à ce que Bert Anciaux arrive en 2004, on avait pour norme 8 nœuds sans rafale. Il est le premier politique à comprendre qu’en jouant avec les normes de vent, on influait sur l’utilisation des pistes. La politique d’Anciaux a été de ne plus utiliser la 25 !"

Le 6 août 2013, ce même ex-ministre de la Mobilité interrogeait par écrit le ministre d’alors, Melchior Wathelet (CDH), avec ces mots : "Ces modifications ont pour effet un sérieux glissement des nuisances des quartiers riches de la périphérie est de Bruxelles vers la zone nord de la capitale." Où lui-même habite, dans une coquette fermette, à Neder-Over-Heembeek et avec de la famille dans les environs.

Du côté de Belgocontrol, par la voix du porte-parole Dominique Dehaene, on juge que "le pilote de l’Embraer a commencé à décoller trop tôt. L’utilisation des pistes n’a rien à voir avec l’incident du 5 octobre. Belgocontrol a respecté les normes d’utilisation de la piste 01. On abuse de cet incident pour relancer le débat politique."

Tout de même, si l’on n’avait pas utilisé de pistes se croisant, il n’y aurait pas eu l’ombre d’un incident. A propos de l’utilisation des pistes et de l’interprétation des normes de vent, le ministre Bellot a dans l’idée, depuis son entrée en fonction, d’auditer Belgocontrol. Cette fois, ça y est, audit est demandé sur les choix de pistes durant la semaine du 3 au 10 octobre, ainsi qu’une enquête sur l’incident du 5 octobre, auprès de la cellule indépendante de l’Air accident investigation unit (AAIU). Et voilà un épineux dossier qui fait sa rentrée sur le ring politique, alors que la majorité n’en avait sans doute pas besoin.