La stratégie de Ryanair pour ne pas payer les amendes pour nuisances sonores à Bruxelles
On pourrait l’appeler le "plan Coyote", du nom de l’application permettant aux automobilistes d’éviter les radars sur les routes. La compagnie aérienne Ryanair a mis en place une stratégie afin d’éviter de payer les amendes pour nuisances sonores voulues par la Région bruxelloise.
Pour rappel, depuis le début de l’année, le gouvernement de la capitale applique une tolérance zéro pour les avions les plus bruyants survolant son territoire. Le dossier estcomplexe et par deux fois, la Flandre a intenté un conflit d’intérêts pour retarder la mise en pratique de cette mesure. Mais depuis le 22 avril, Bruxelles dresse des procès-verbaux, même si les amendes ne seront encaissées que d’ici un an et demi.
Il ressort des documents internes à la compagnie irlandaise, dont "La Libre" a pris connaissance, que Ryanair suit de très près ce dossier. La compagnie est particulièrement touchée sur ses vols matinaux (avant 7 h), dont les amendes sont les plus salées, et a déjà menacé de geler tout investissement à Bruxelles, si une solution sur le dossier n’était pas rapidement trouvée.
Etre le plus rapidement en l’air et loin des sonomètres
Dès le 24 février, soit deux jours après le deuxième conflit d’intérêts lancé par la Flandre, la compagnie publie un nouvel "Airfield Brief" pour Bruxelles, avec un chapitre spécialement conçu sur les nuisances sonores. Le plan est simple : faire décoller l’avion le plus rapidement possible afin de le mettre à distance raisonnable des radars sonores au sol et ainsi éviter de se faire repérer. Pour être le plus rapidement en l’air, Ryanair conseille à ses pilotes de demander aux contrôleurs aériens de pouvoir décoller depuis le début de la piste 25 R (où ont lieu la majorité des décollages) et non "à l’intersection".
L’idée est de réduire le temps de montée, et la compagnie recommande aussi une puissance minimale du moteur supérieure (24K, soit 24 000 livres de poussée de réacteurs) à ce qui est théoriquement requis (22K) au décollage. "Mais on reste dans des normes de sécurité, explique un pilote. C’est comme si vous aviez une voiture qui peut aller jusqu’à 10 000 tours-minute et que vous la faites monter à 5 000 tours au lieu de 3 000 tours recommandés pour être plus économique." Ryanair a fait ses calculs. "Ces décollages rapides coûtent plus cher en kérosène, mais si c’est pour éviter des amendes pouvant aller jusqu’à 60 000 euros, cela vaut largement le coup", poursuit une autre source.
"Nous ne sommes pas des marchands de tapis"
Etre plus rapidement en l’air permettrait aussi aux avions de Ryanair de tourner de manière plus serrée sur les routes du Nord ou du Ring (voir infographie) et d’éviter de survoler le territoire bruxellois. La note précise qu’"à cause de la présence de sonomètres, il faut éviter de voler au sud" de deux balises, correspondant à celles des routes du Ring et du Canal.
Le document, signé de la main du chef pilote Shane McKeon, précise enfin que les pilotes doivent faire un rapport au cas où les contrôleurs aériens ne permettent pas aux pilotes de suivre cette procédure anti-bruit.
De l’aveu de certains contrôleurs aériens, les pilotes de Ryanair ont ainsi l’habitude d’être de "fins négociateurs". "Ils savent comment se faufiler pour gagner une ou deux places dans la file d’attente des décollages", précise un employé de Zaventem. "Nous ne sommes pas des vendeurs de tapis, toutes les compagnies font cela, répond un pilote. On peut tout demander à un contrôleur aérien, mais on ne sait jamais ce qu’on obtiendra en retour."
Le 28 avril dernier, soit quelques jours après un nouvel échec des négociations entre le fédéral et les Régions bruxelloises et flamandes, un mémo de Ryanair est encore plus insistant. "Nous nous attendons à ce que l’exposition aux amendes s’accentue de manière considérable", explique Ray Conway, le directeur des vols de la compagnie low cost. Pour ce dernier, il est "impératif" que ses équipes suivent la nouvelle procédure à la lettre. "Ryanair n’a rien inventé, explique un fin connaisseur du secteur. Ce type de démarche est courant et n’a rien d’illégal."
Un ancien pilote de la compagnie irlandaise se souvient ainsi d’une procédure similaire à l’aéroport de Madrid-Barajas. "Ryanair a envoyé des mails en fustigeant les pilotes qui avaient écopé des amendes et en les menaçant de devoir les payer eux-mêmes. En fait, la procédure n’était pas optimale et plus personne ne voulait voler sur Madrid." A notre connaissance, aucune menace de ce type n’a été jusqu’ici envoyée aux pilotes opérant à Bruxelles.
Le "plan Coyote" de Ryanair fonctionne-t-il ? Impossible de l’écrire pour l’instant : le cabinet de la ministre bruxelloise de l’Environnement, Céline Fremault (CDH), n’a "pas encore de vue claire" sur les amendes depuis le 22 février dernier.