Pas Question ! Une escadrille d’enfer

Le Vif
vendredi 10 octobre 2014

En trois mois, le mouvement citoyen Plan Wathelet-Pas question ! s’est imposé comme interlocuteur du monde politique. Porté par des citoyens en colère et plutôt favorisés, il déboule dans le ciel bruxellois avec des méthodes neuves, qui bousculent. Enquête.

Debout, la main en l’air, il salue ses troupes, des dizaines de citoyens revêtus d’un tee-shirt jaune. Les applaudissements fusent. Antoine Wilhelmi, le chef de file du mouvement Plan Wathelet - Pas question !, sourit. On dirait une rock star... Mardi 30 septembre, salle du conseil communal de Woluwe-Saint-Pierre. A la sortie d’une séance électrique, Antoine Wilhemi répond aux questions d’un journaliste. A l’aise face à la caméra. Combattit. Professionnel. Du dossier du survol aérien de la capitale, qui monopolise les Bruxellois à rude épreuve depuis février, il est l’un des acteurs majeurs. A 45 ans, ce juriste, né d’une famille bien sous tous rapports, incarne désormais la contestation du Plan Wathelet. En quelques mois, il est parvenu à fédérer des milliers de personnes et, fort de cet appui, à s’imposer dans le champ politique. « II a réussi à faire du survol le seul thème de la campagne à Bruxelles », soupire un ténor politique. Mais qui est donc ce monsieur ? Un entrepreneur, épris de nouvelles technologies, à l’aise dans ses papiers comme dans le management. Dans les années 2000, il s’était mobilisé contre le vote électronique. Au début de cette année, il est sans occupation professionnelle précise. Ça tombe bien : tout son temps sera consacré au dossier du survol. Avec une incontestable réussite, que même ses adversaires lui reconnaissent. Elle s’appuie d’abord sur l’utilisation massive des réseaux sociaux, levier du mouvement. En février, Antoine Wilhelmi et quelques amis, tous nouvellement survolés à Watermael-Boitsfort, Auderghem ou Etterbeek, décident de créer un mouvement de mobilisation citoyen. Son unique but : obtenir le retrait du Plan Wathelet. Chacun décide d’investir 300 à 400 euros pour permettre la création d’un site Internet qui voit le jour le 15 mars. Immédiatement, des dizaines de mails parviennent à l’adresse qui y est renseignée. « Je reçois à l’époque jusqu’à 600 mails par jour », précise Antoine Wilhelmi. Des bénévoles sont aussitôt recrutés pour répondre à cet impressionnant courrier. Une pétition électronique est lancée. Elle récoltera un peu plus de 20000 signatures. Un compte Twitter et une page Facebook sont également ouverts. « Antoine Wilhelmia un vrai sens politique de l’utilisationdes réseaux sociaux, ce qui est un « phénomène neuf », analyse un expert aéronautique.

Impossible il y a dix ans

Pendant deux mois, l’homme s’installe dans les locaux de l’Icab, un incubateur de startup dans le secteur des technologies de l’information. Il y met au point un système de distribution automatique de mails aux sympathisants, déclinable selon divers critères, prépare des lettres-types qui peuvent être envoyées d’un simple clic aux autorités politiques du pays, imagine un relevé des rues dans lesquelles des tracts sont distribués, etc. « Ce qu’on a fait aurait été impossible il y a dix ans, reconnaît Antoine Wilhelmi. On doit notre succès aux réseaux sociaux. » C’est que les citoyens survolés représentent un public particulier, au niveau socio-économique plus élevé qu’ailleurs. On y trouve des représentants des milieux financier, juridique, médiatique, artistique ou de la consultance. ainsi que 500 fonctionnaires européens. Leurs carnets d’adresses ne manquent pas d’épaisseur et ils sont assez familiers des réseaux sociaux. Résultat : quand il faut trouver un graphiste pour donner un coup de main à Pas question !, un post placé sur Facebook suscite immédiatement 25 propositions d’aide bénévole. « La réussite de Pas question ! est due à une addition de facteurs », souligne une élue écologiste. Dont l’argent. Plutôt issus d’un milieu favorisé, les adhérents du mouvement l’ont d’emblée soutenu financièrement. Très vite, des dons affluent. Une première collecte de fonds rapporte près de 21000 euros à la fin du mois de mai alors que l’objectif était d’en récolter 15 000. La contrepartie d’un don de 6 000 euros ou plus était « le survol de la maison de Melchior Wathelet en hélicoptère - pour passer bien bas ». Une seconde récolte de fonds vient d’être ouverte. En quelques jours, 10000 euros ont été rassemblés. Souvent des petits montants, mais démultipliés par le nombre de survolés. « Je n’ai reçu qu’un seul don d’entreprise, d’une valeur de 1000 euros », affirme Antoine Wilhelmi, qui jure que ni le secteur de l’immobilier, ni celui de la construction, ni aucun autre d’ailleurs, ne soutiennent son action. Certains soupçonnent pourtant Pas question ! de défendre les intérêts de promoteurs immobiliers inquiets à l’idée de voir leurs biens survolés perdre de la valeur. Pas question ! étant à ce jour une association de fait et non une asbl, ses comptes ne sont pas publiés. Or, la campagne orchestrée entre février et mai a coûté cher : 20 000 euros pour un recours au Conseil d’Etat, 10 000 pour l’impression des 500000 tracts, 15000 pour les 1000 bâches, 6 000 pour la fabrication des 500 tee-shirts. Pas question  ! ne souhaite pas divulguer les montants récoltés, ni créer de polémique à ce sujet. « Nos comptes sont irréprochables, assure Antoine Wilhelmi. Mais s’ériger en asbl n’était pas prioritaire pour nous. » En attendant, le mouvement se structure en interne : Antoine Wilhelmi est son porte-voix et coordonne l’ensemble, qui comprend une cellule stratégique de deux ou trois personnes, une cellule juridique, une cellule technique, composée entre autres de pilotes, une cellule d’audit financier et une cellule « réseaux sociaux ». Ceux qui les animent sont tous bénévoles et font partie des 500 militants actifs recensés. Certains consultants indépendant sont néanmoins été ponctuellement payés pendant la campagne,à prix réduits, par sympathie. Et actuellement,un salarié travaille toujours à mi-temps pour l’association. Dans les communes, des branches locales,autonomes, se mettent aussi en place, et utilisent à foison les mêmes outils informatiques. « Pendant la campagne électorale, on avait dressé la liste des événements politiques les plus porteurs pour faire pression sur les candidats », raconte un habitant de Woluwe-Saint-Pierre. Une liste largement diffusée sur le Net...

Caisse de résonance

A trois mois du scrutin, le mouvement avait toutes les chances d’être entendu. Antoine Wilhelmi est d’ailleurs reçu par tous les partis. « II a fait le choix de prendre Melchior Wathelet et le CDH pour cible, analyse un expert du secteur aérien. C’est judicieux. Car s’il avait pris de face tous les partis, pourtant coresponsables de la décision, il n’aurait pas obtenu le moratoire. » Au fil des jours, la marque jaune fait des ravages. Sur les supports, partout,le message est le même : c’est non au survol. A ce jour, quelque 500000 tract sont été imprimés, parfois dans l’entreprise d’un adhérent pour réduire les coûts, et distribués par quelques centaines de distributeurs, dans dix communes. Car Pas question ! assure se battre pour l’ensemble de la Région bruxelloise, dont les habitants de lazone du Canal, qui hérite des vols de nuit, de week-end, et des gros porteurs.De ce côté de Bruxelles, toutefois, on n’observe guère de réaction aux nouvelles routes aériennes. La population n’a pas le même profil que celle du sud ou de l’est de la capitale. Et a d’autres urgences que de monter aux barricades pour des faits de pollution sonore, aussi violente soit-elle. « A Schaerbeek et à Molenbeek, Pas question ! a confié à certains acteurs locaux la distribution de tracts sur le terrain, dont un en arabe », précise un socialiste. Les tee-shirts sont offerts et leurs acquisiteurs sont invités à faire un don, puisque le mouvement ne peut exercer d’activité commerciale. Le prix recommandé pour ces vêtements voyants est de 12,50 euros. Les premières bâches (15 euros) fleurissent aux fenêtres et aux balcons. Certaines administrations communales, elles-mêmes en délicatesse avec le Plan Wathelet, autorisent leur installation dans l’espace public, sur des ponts par exemple. D’autres bâches font l’objet d’un accrochage sauvage. « Cela fait partie du jeu », estime Antoine Wilhelmi. Pour assurer face à la presse et aux responsables politiques qu’il rencontre, l’homme se fait coacher par une spécialiste française des médias. Depuis lors, la stratégie de communication du mouvement est claire, en tout cas durant la campagne électorale : tous les trois jours, il lui faut créer l’événement avec un élément neuf. « On a construit une stratégie d’existence », confirme Antoine Wilhelmi. « II a surtout construit une histoire simpliste et populiste, facile à vendre, alors que le sujet est technique, complexe et nuancé », réplique Peggy Cortois, présidente de l’UBCNA (Union belge contre les nuisances aériennes), qui défend les communes de l’est de Bruxelles (Wezembeek, Crainhem, une partie de Woluwe-Saint-Pierre). Mais quand on enlève une pièce de son discours parce que ce qu’il dit n’est pas juste, il ne le supporte pas : il est impossible de lui faire entendre qu’il a tort. » Pas question ! et l’UBCNA ne s’aiment pas d’amour tendre, on l’aura compris. L’une et l’autre s’accusent de se lancer des propos orduriers sur les réseaux sociaux, via de faux profils sur Twitter et Facebook, et de censurer les commentaires négatifs laissés par des internautes. « II n’y a pas de jalousie entre les associations de riverains, assure pourtant Elisabeth de Foestraets, administratrice de l’asbl Wake Up, à Crainhem. Je suis admirative de la campagne de Pas question ! mais ça doit se faire dans le respect. » Sûr de lui - « je dispose de capacités intellectuelles supérieures à la moyenne et nous maîtrisons le dossier du survol mieux que tout le monde », dit-il - Antoine Wilhelmi ne cache pas que les associations de riverains ne lui paraissent pas dignes d’intérêt. « L’UBCNA n’est pas un interlocuteur crédible, assène-t-il. Il vaut mieux parler directement avec les politiques. Et avec les gens de Bruxelles Air Libre, on a vite compris qu’on n’arriverait à rien : ils ne font que discuter. »

Des méthodes qui posent question

Pour « arriver à quelque chose », les membres de Pas question ! ne font pas forcément dans la dentelle. « Ils sont dérangeants, confirme Yvan Vandenbergh, ancien chef de file de Bruxelles Air Libre. Mais ils réussissent ce que nous ne sommes plus capables de faire, et je m’en réjouis. » Légitime dans son indignation, le mouvement l’est pourtant moins, aux yeux de certains, dans ses méthodes : ses harcèlements par voie électronique - certains élus reçoivent jusqu’à 800 mails par week-end -, ses propos sur les réseaux sociaux qui flirtent avec le non-respect de la vie privée, les insultes proférées à certains élus lors de manifestations publiques... « Ce sont des méthodes d’extrême droite, s’indigne Georges Dallemagne, député fédéral CDH et habitant de Woluwe-Saint-Pierre. Le langage est choquant et les images, dont celle d’un avion traversant les oreilles, brutales. On a l’impression d’être à Damas ! Si toutes les associations agissaient comme cela, en envahissant les conseils communaux, ce serait invivable. Même le PTB a renoncé à ces méthodes. » Antoine Wilhelmi rétorque, lui, qu’il appelle au calme et ne peut empêcher certains de ses 20000 adhérents de sortir une grossièreté. « Je ne suis jamais grossier, ni méprisant, précise-t-il. Mais je suis passionné et je peux rentrer dans le tas au sabre. Le dialogue n’est pas toujours possible. » Divers témoins rapportent pourtant l’agressivité dont le chef de file de Pas question ! peut faire preuve en réunion, y compris avec des responsables politiques. « Quand je l’ai rencontré, il m’a d’emblée dit qu’il me casserait, raconte un élu du CDH. Je n’ai jamais vu une telle violence. » Antoine Wilhelmi jure n’avoir jamais tenu de tels propos. Tandis que les uns n’imaginent pas que l’homme ait un agenda caché, d’autres le suspectent de s’en être pris au CDH pendant la campagne au profit du MR, dont il serait proche. Lui s’en défend. « Je me sens libéral d’un point de vue économique et philosophique mais je suis aussi un humaniste. A ce jour, je n’ai été approché par aucun parti politique et je serais bien en peine d’en choisir un. » II avoue néanmoins prendre goût à la chose publique. Et à la reconnaissance, sans aucun doute. Une motivation en plus de l’indignation que ce « monomaniaque compulsif », comme il se décrit lui-même, qualifie de moteur ? « II y a des moyens plus stupides de devenir célèbre », lâche un écologiste. Antoine Wilhelmi. lui, imagine déjà un autre recours contre l’Etat visant à obtenir un dédommagement pour les moins-values immobilières occasionnées. « J’ai aussi des dossiers contre les acteurs de l’aéroport. Et je les sortirai s’ils ne nous aident pas. » La machine de guerre ne compte pas prendre de vacances...

Laurence van Ruymbeke