L’État condamné à dédommager les riverains de Brussels Airport

lecho.be
mardi 18 avril 2017

D’après la Justice, l’État a commis une faute en imposant un usage abusif de la piste 02.

Alors que débutent cette semaine les plaidoiries liées à l’action en cessation environnementale introduite notamment par le gouvernement bruxellois contre le bruit des avions à Brussels Airport, et que le gel de l’application de la tolérance zéro dans le ciel bruxellois prend fin le 22 avril, la Justice porte un coup dans l’aile du Fédéral. La cour d’appel de Bruxelles a rendu le 31 mars un arrêt donnant raison à 93 familles représentant 345 personnes. Elle a débouté l’État belge, qui contestait un jugement rendu le 14 avril 2011 par le tribunal de première instance de Bruxelles. Le premier juge avait estimé que les mesures de dispersion des nuisances prises en 2003 ainsi que celle d’utilisation préférentielle des pistes en février 2004 et qui ont été imposées jusqu’en 2011 portaient préjudice aux 93 familles.

Les riverains concernés subissent des nuisances allant de 65 à 80 décibels de jour comme de nuit, des niveaux qualifiés de "graves" par la cour d’appel.

La cour d’appel enfonce le clou et rejette de nouveau les argumentations du Fédéral. "L’État belge a violé l’article 22 de la Constitution (droit à la vie privée et familiale, NDLR) ainsi que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée et familiale et du domicile de toute personne, NDLR), et ces violations sont constitutives d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, qui l’oblige à réparer le préjudice (des plaignants) habitant sous le couloir d’approche de la piste 02 de l’aéroport de Bruxelles-National, du fait des nuisances sonores générées par l’utilisation de cette piste à l’atterrissage au cours de la période de février 2004 au 31 décembre 2011, plus intensive qu’avant février 2004 sans mesure d’accompagnement", lit-on dans cet arrêt de 112 pages dont nous avons eu connaissance. "L’arrêt de la Cour vise une période où le plan Anciaux était en vigueur et la piste 02 était utilisée comme piste préférentielle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons demandé une analyse juridique aux avocats pour arrêter notre position", dit le ministre de la Mobilité François Bellot (MR). Il ne se fait guère d’illusion sur un pourvoi en cassation car l’État belge a perdu deux fois dans le dossier et s’il y avait un problème de forme, les juges l’auraient déjà soulevé.

Le montant du préjudice n’est pas encore fixé. La Cour demande à chaque plaignant de l’établir en faisant le lien avec les fautes de l’État belge. Les attendus de l’arrêt sont sévères pour le Fédéral. D’après la Cour, il n’a pas tenu compte de la spécificité de la piste diagonale d’atterrissage 02 (désormais 01). Elle suit les plaignants et reproche à l’État d’avoir pris des mesures pour un usage préférentiel de la piste 02 "sans aucune étude préalable de l’impact d’une utilisation intensive de la piste 02 d’atterrissage sur leur santé et leur vie privée et familiale et sans mesures d’accompagnement (isolation ou rachat des maisons, NDLR)".

Nuisances

La Cour observe que les riverains, à l’origine de l’action et qui sont répartis dans différentes communes de l’Oostrand (Woluwe-Saint-Pierre, Wezembeek Oppem, Crainhem, etc.) subissent des nuisances allant de 65 à 80 décibels de jour comme de nuit. Elle considère que ces seuils de nuisances sont graves et peuvent porter atteinte à la santé des riverains. Elle estime que l’État belge se trompe quand il discute la force contraignante des valeurs guides de bruit de l’OMS et qu’il considère que le bruit subi par les plaignants n’est pas excessif.

"L’État belge se met en porte-à-faux de ses propres décisions en matière de gestion du bruit des avions."

"En contestant la prise en considération des valeurs guides de l’OMS pour apprécier les plaintes des intimés, l’État belge se met en porte-à-faux avec ses propres décisions en matière de gestion des nuisances sonores de l’aéroport. La Cour considère que ces valeurs, dont l’État ne conteste pas la valeur scientifique, sont pertinentes pour apprécier la gravité des nuisances sonores dont se plaignent les intimés", enchaînent les magistrats. Ils fustigent l’impréparation de l’État belge suite aux mesures prises le 11 février 2000 (modèle de concentration pour gérer le bruit des avions), dans la mesure où les études techniques ont été commandées lors de l’élaboration des décisions et dans des délais si courts que les problèmes majeurs sont apparus après la mise en œuvre du modèle. D’après la Cour, l’État belge n’a pas pris en compte l’équilibre des intérêts en présence (droit à la vie privée et la protection de la santé des riverains subissant de graves nuisances, intérêts économiques de l’aéroport, etc.) lorsqu’il a décidé le 28 février 2004 de l’utilisation préférentielle des pistes.

La cour d’appel n’a pas statué sur les fautes commises par l’État belge après 2011 et les dommages qui en découlent pour les plaignants. Elle a ordonné la réouverture des débats. Une audience est prévue le 15 juin prochain à 9h15.

Le ministre Bellot va recevoir une mise en demeure

Satisfaits de l’arrêt de la Cour d’appel, les riverains victimes des nuisances viennent d’envoyer une mise en demeure au ministre Bellot pour lui demander de s’y conformer. Ils demandent dans un premier temps le retrait de l’instruction du 26 août 2003 portant sur les normes de vent. Car d’après eux, la situation n’a pas tellement évolué. "Très peu de choses ont changé dans la situation des riverains. Leurs plaintes ne sont pas entendues. On peut prouver que l’utilisation abusive de la piste 01 n’a pas baissé", nous a confié Elisabeth de Foestrate, une des responsables de l’association Wake up Crainhem. Elle annonce que les riverains (93 familles) à l’origine de l’action travaillent à l’évaluation du dommage et pour elle le lien de causalité entre le préjudice subi et les nuisances sonores ne fait pas l’ombre d’un doute. "On prépare déjà les éléments pour évaluer le préjudice et retourner devant le juge. C’est révoltant que dans un État de droit, les riverains soient obligés de se tourner vers la Justice pour faire reconnaître leurs droits subjectifs", poursuit-elle.